Une école d’excellence dans un monde de plus en plus médiatisé
(article paru en juin 2016)
Dans une méta-note envoyée aux membres du Gouvernement, en marge des travaux du « Pacte d’excellence », Le Conseil supérieur de l’éducation aux médias (CSEM) a tenu à repréciser la place que doit avoir l’éducation aux médias dans la définition de l’enseignement du XXIème siècle.
Nous en avons sélectionné quelques extraits que nous vous proposons de découvrir ici.
« Dans l’état actuel des choses, les activités d’éducation aux médias dans notre système scolaire sont encore généralement ponctuelles, plutôt dispersées, souvent requises comme palliatifs de situations de crise. Un déploiement structurel et systématique de telles activités leur donnerait une dimension préventive et permettrait de toucher tous les élèves, de manière plus équitable. …/…
Les travaux du « Pacte d’excellence » font apparaître le concept de « littératie numérique » et précisent que celle-ci ne doit pas seulement mobiliser des savoir-faire technologiques, mais aussi des compétences critiques et citoyennes. …/…
Comme l’a défini le Décret sur les missions prioritaires de l’enseignement fondamental et de l’enseignement secondaire de juillet 1997, l’enseignement doit avoir comme objectifs de « préparer des citoyens responsables, capables de contribuer au développement d’une société démocratique, solidaire, pluraliste et ouverte aux autres cultures » ainsi que « d’amener tous les élèves à s’approprier des savoirs et à acquérir des compétences qui les rendent aptes à apprendre toute leur vie et à prendre place dans la vie économique, sociale et culturelle ». Ces compétences doivent leur permettre en particulier de faire face aux multiples situations inédites et problématiques qu’ils pourront rencontrer tout au long de la vie. Même si le futur reste largement indéterminé, l’on voit facilement que les médias sont appelés à jouer un rôle de plus en plus important dans la société de demain, comme en témoigne en particulier la révolution numérique qui a débuté il y a plus de cinquante ans avant de s’accélérer spectaculairement au début du 21e siècle. Cette révolution fait surgir de nouveaux défis. D’une part, la quantité disponible d’informations a grandement augmenté, soulevant des problématiques complexes comme la pertinence de ces informations de valeur très différente, la fiabilité des sources, l’accès à l’information recherchée dans un paysage de plus en plus étendu et complexe, la posture sociale, émotionnelle, réflexive, politique ou culturelle à adopter face à ce flux d’informations continues et contrastées. Plus largement, la participation des citoyens à la culture, qu’elle soit savante ou populaire, sérieuse ou distrayante, passe aujourd’hui de façon essentielle par les médias, obligeant l’école à intensifier son rôle de médiateur culturel en ce domaine. La nature des médias s’est également profondément transformée, et, si l’écrit occupe toujours une place essentielle sous des formes néanmoins renouvelées, les images fixes et animées sont de plus en plus présentes et sollicitent notre imaginaire, de façon ludique, spectaculaire, sensorielle ou hypnotique, produisant un impact émotionnel souvent puissant mais également insidieux. …/…
Les individus, loin d’être cantonnés à un rôle de récepteurs passifs, sont de plus en plus invités à interagir avec les médias et à travers les médias. (…/…) Au-delà de l’interactivité, chacun peut à son tour devenir facilement un producteur ou un réalisateur de médias. (…/… ) En une formule frappante, on peut dire que les médias sont notre monde. Nous découvrons et nous connaissons le monde pour une large part à travers les médias. Nous interagissons avec le monde grâce aux médias. Et nous nous exposons au monde à travers les médias. Dans ce contexte bouleversé, tous les individus ne disposent cependant pas des mêmes outils, ni des mêmes compétences, ni des mêmes savoirs sur ces médias. Au-delà de leur interface visible, les médias comprennent en effet un « arrière-monde », difficile à maîtriser. …/…
Les médias, loin de se réduire à des « objets » circonscrits comme la télévision ou une affiche, sont au cœur de tous les processus d’apprentissage et d’éducation. Et ils doivent s’inscrire au sein des différentes disciplines scolaires, ou comme une discipline à part entière, non pas comme de simples moyens ou outils d’enseignement mais comme l’interface essentielle entre les individus et la réalité dans laquelle ils sont appelés aujourd’hui à prendre leur place comme citoyens et comme professionnels. L’école doit éduquer aux médias, à leur utilisation réfléchie, aussi bien en réception qu’en production, dans leur dimension informationnelle mais également technique et sociale. Des situations de crise (radicalisation, théories du complot, harcèlement via les réseaux sociaux, rumeurs, engouements subits de toutes sortes…) ont révélé l’urgence d’une telle éducation aux médias, mais les réponses demandées et éventuellement apportées sont trop souvent restées ponctuelles, éparses et sans réelle continuité.
L’école doit aujourd’hui prendre conscience que les médias nécessitent une éducation à part entière si l’on veut que les citoyens de demain ne soient pas soumis à des puissances médiatiques dont ils ne comprennent ni le sens ni les enjeux, et si l’on veut au contraire qu’ils maîtrisent au mieux ces outils et les utilisent de façon consciente et responsable. …/…
Au mieux, l’école tente-t-elle d’utiliser certains médias, de préférence numériques, à des fins didactiques, sans en faire un véritable objet d’apprentissage en vue d’accroître chez les élèves les compétences expertes dont ils ont déjà besoin aujourd’hui, et qu’ils sont encore condamnés à développer spontanément, en échangeant leurs expériences entre pairs, en l’absence d’une éducation formelle dont les adultes devraient assumer la responsabilité.
Enfin, à travers leurs fonctions d’information et de socialisation, les médias sont au cœur des enjeux et des fractures du vivre ensemble qui minent nos démocraties. Comment dès lors imaginer une éducation à la citoyenneté démocratique, active, responsable, respectueuse de la diversité, attentive au développement durable… sans amener les élèves à se questionner sur leurs usages médiatiques, sur le rôle que ces usages jouent dans leurs représentations personnelles et dans leur action sociale, sans les doter d’une solide littératie médiatique.
Puisqu’aujourd’hui il est question de travailler collectivement au développement d’un enseignement à la hauteur des nouveaux défis contemporains, le CSEM invite donc de manière pressante le Gouvernement à intégrer systématiquement et structurellement l’éducation aux médias et la littératie médiatique dans les missions et les actions d’une école d’excellence au 21e siècle. Le Conseil supérieur de l’éducation aux médias, le vendredi 15 avril 2016